Un Alsacien dans la Grande Guerre

Charles Demmerlé est un enfant de cette Alsace ballotée au fil del'Histoire entre la France et l'Allemagne. Né en 1897, à Etting, il est né sujet du 2ème Reich alors que jusqu'en 1871 ses parents, Jeanne et Jean-Hilaire étaient français. A la déclaration de guerre de1914, Charles ou plutôt Karl n'a que 17 ans,trop jeune encore pour être appelé, il ne doute toutefois pas que l'heure d'accomplir son devoir finira par sonner.

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Couverture du livret militaire de Karl.

3 53Seule photo de Karl en uniforme allemand, il est le 3ème, debout, à partir de la  gauche.

 

Grâce à son militärpass, pieusement conservé au sein de sa famille, on peut retracer son parcours de mai 1916 à décembre 1918. Le 31 mai 1916, il est incorporé au 14ème régiment d'artillerie de Strabourg. Après quelques semaines d'instruction, il est déclaré apte au service le 24/08/1916. Son 1er passage au front est de courte durée et on le retrouve successivement dans les hôpitaux militaires d'Arad (Roumanie) et d'Aalen (à l'Est de Stuttgart) de septembre à décembre 1916.

 

En janvier 1917, il intégre le 3ème bataillon du Badisches F.A.R.14 au sein duquel il sert jusqu'en août de la même année. De janvier à février 1917 il combat à Verdun, puis ce sera les combats du Sundgau, la Champagne d'avril à juillet 1917, l'Argonne en juillet et août et à nouveau le secteur de Verdun du 16 au 19 août. Pour cette période, son officier indique que la conduite de Karl est digne des plus grands éloges. Le 19 août, Karl est victime d'une attaque aux gaz qui vaut d'être évacué sur le poste sanitaire n°29 de Loison.

 

En janvier, il rejoint le F.A.R.24 avant d'être transféré au F.A.R.13 où il servira jusqu'en décembre 1918. Il sera alors de tous les combats livrés en Picardie: sur la Somme en mars, sur l'Ancre de mars à mai, entre la Somme et l'Avre, puis dans le secteur de Villers-Bretonneux du 18 au 26 avril 1918, en août ce sera la bataille d'Amiens. Là encore, ses officiers sont élogieux quant à son service au front. C'est dans la Meuse que le trouve l'armistice, le 03/12/1918 il est démobilisé.

 

Au mari de sa petite-fille, André Fischer, Karl a raconté sa guerre. C'est ses souvenirs qu'André a bien voulu partager avec moi à l'occasion d'une rencontre fortuite mais exceptionnelle. Mobilisé à Strasbourg, Karl a expliqué à André que tous les Alsaciens-Mosellans étaient affectés en priorité sur le front Est pour éviter que ces "Franzonsenköpfe" ne profitent d'un séjour sur le front Ouest pour déserter et rejoindre la France à l'image de la reddition d'un régiment de réserve alsacien dans les Vosges en 1914.Ce n'est qu'après la fin des combats à l'Est que Karl rejoignit le front Ouest à Verdun/Douaumont.

Mais ce furent les combats de la Somme qui le marquèrent le plus: Péronne, Albert, "Kurzelett", "Thiebfal", le Hamel, Rancourt.

 

A André, il a raconté le Mauser 1898 et sa longue baionnette, l'eau-de-vie généreusement distribuée avantles coups durs, les vagues d'assaut britanniques et américaines fauchées par les mitrailleuses et qui "se faisaient tuer comme des lapins", le petit caniche de son capitaine dévorés par les rats, le Baron Rouge qu'il vit voler et dont la mort porta un rude coup au moral des Sommekämpfer.

 

Il évoqua aussi les visions d'horreur: cadavres éventrés, arbres déchiquetés, terre retournée encore et encore par le feu de l'artillerie, entonnoirs de mine comme celui vu à Pozièreset dont disait-il il aurait pu contenir 4 à 5 maisons!

 

Il raconta le calvaire des masques à gaz dont les optiques voilés par la buée rendait toute vision quasi-impossible, c'est ainsi qu'à Verdun, il fut gazé pour avoir légérement soulevé son masque pour en chasser la buée. C'est à Verdun que Karl gagna sa croix de fer de 2ème classe pour être allé chercher un camarade blessé dans le no man's land, ce geste héroïque lui valut la croix de fer mais  ne sauva pas son camarade, mort de ses blessures poste de secours.

 

A la fin de 1918, il rentra enfin en Alsace, s'installa à Kalhausen, devint français et rencontra sa future épouse Catherine Pefferkorn. De l'union de Charles et Catherine naquirent deux filles: Marie et Lucie. N'ayant pas eu defils, ils adoptèrent un jeune orphelin  italien: Pietro-Pierre.

 

Devenu français en 1919, Charles allait devoir, 20 plus tard, s'acquitter de ses obligations militaires au service de la France cette fois! Le 23/08/1939, il fut mobilisé au 2nd bataillon du 204ème Régiment Régional de protection et affecté à la défense de gare de Saverne. Durant l'hiver 39/40, il participe, dans des conditions climatiques rigoureuses, à la construction d'abris. Malade, il sera hospitalisé et ne rejoindra son unité qu'en mai 1940 pour prendre part à la retraite de celle-ci. Capturé, il fut rapidement libéré par les Allemands car Alsacien.

 

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Charles avec ses camarades du 204 RRP, il est à gauche de la photo.

 

L'histoire de Karl-Charles illustre bien le sort des Alsaciens-Mosellans déchirés entre deux patries et qui durent se battre sous deux uniformes différents au cours de deux guerres qui virent s'affronter les deux patries auxquelles ils appartenaient. A André, Karl expliqua que quelque fut l'uniforme porté il s'efforça de faire son devoir du mieux qu'il le pouvait.

 

Pour conclure, je remercierai simplement André d'avoir partagé son travail de collecte des souvenirs de Karl avec moi et m'avoir autorisé à les reproduire en partie ici.

 

"Ne jamais oublier, toujours se souvenir"