Morisel, ville martyre, filleule du canton de Condé-sur-Noireau

Voici partiellement  reproduit, avec son accord et d'infimes retouches, l'article rédigé par Monsieur Cyprien Philippe pour le bulletin de sa commune de Condé-sur-Noireau. Merci à lui pour ce travail de mémoire.

 

 

Affiche de 1919, archives départementales du Calvados.

 

 

Chacun sait que Condé-sur-Noireau est devenue ville martyre lors des terribles et sanglants bombardements du 6 juin 1944. Des villes se sont penchées avec bienveillance sur notre commune détruite et ses habitants. Que ce soit Vincennes, Rambouillet ou encore le 6ème arrondissement de Paris, ces villes épargnées par le fracas des bombes sont devenues marraines de Condé en lui apportant une aide matérielle et financière.

Ce que l'on sait moins, c'est que la ville de Condé avait adopté la ville meusienne de Watronville au lendemain de la Grande Guerre et que le canton de  Condé-sur-Noireau avait adopté la ville martyre de Morisel, dans la Somme, dévastée par le terrible conflit de 14-18.

Morisel, petite commune de 510 habitants, située dans le canton de Moreuil, vivait au début du 20ème siècle de la production agricole, de la bonneterie et de ses carrières de marne. La population non agricole travaille soit pour la bonneterie locale soit pour les industries de Moreuil.

Morisel avait déjà connu la destruction et la dévastation, comme l'indique La notice géographique et historique de Morisel rédigée en 1910 par l'institueur  M. Olivier.  "En 1814, les cosaques incendièrent toute une rue (rebaptisée rue neuve à sa reconstruction). En 1870, Morisel eut à souffrir de l'invasion prussienne et de la mauvaise humeur des Prussiens après la bataille de Villers-Bretonneux. Quelques jeunes gens ont payé dignement leur dette à la patrie en 1870 et trois sont morts pour elle."

 

Morisel n'échappera pas plus aux destructions de la Grande Guerre et sera totalement détruite lors des combats d'août 18. Nous pouvons avoir une idée d'ensemble de la bataille de Morisel d'août 18 à partir des documents suivants:

"(...) pendant les mois de mai, juin, juillet et août, la 66ème division (...) a organisé de toutes pièces le secteur du bois Sénécat et chassé progressivement l'ennemi de la rive gauche de l'Avre à la suite de vigoureux combats où quatre divisions boches ont été décimées. Aujourd'hui il s'agit de parachever l'oeuvre (...) en enlevant Morisel-Moreuil. Chasseurs et sapeurs, vous allez prendre part à une grande bataille; vous attaquerez en liaison avec les troupes d'élite de l'armée d'Afrique et de l'armée coloniale. Vous ferez encore une fois honneur à votre Drapeau et à vos Fanions. Je compte sur vous."

Discours du Général Brissaud-Desmaillet, commandant de la 66ème Division.


"Dans la nuit du 7 au 8 août , les troupes d'assaut du 8ème groupe se placent sur leurs bases de départ: le 28ème et une compagnie du 17ème se positionnent de la voie ferrée (passage à niveau de Castel) jusqu'à vers 400 mètres à l'Est. Le 68ème Bataillon positionne 3 compagnies au bois Billot et une au bois Sarlet. Le 28ème ne connaît pas le terrain sur lequel il se meut en pleine nuit, dans les trous d'obus et dans les marécages sous des tirs de harcèlement ennemis. Il ne connaît pas davantage les obstacles qui le séparent de ses objectifs. Le 68ème se trouve dans une situation analogue.

[Le 8 août] à 05h11, le 28ème Bataillon et la 1ère compagnie du 17ème attaquent. Un sérieux tir de barrage par obus, minenwerfer et mitrailleuses ne ralentit pas leur élan. La liaison est pénible, car un épais brouillard couvre la vallée de l'Avre, mais favorise la progression des tirailleurs qui, dans un élan vigoureux, arrivent sur les ouvrages ennemis et tuent tout ce qui tente une résistance. A 07h35, les troupes d'assaut ont atteint leurs objectifs: lisières Nord et Est de Moreuil.

Le 68ème part à 06h35 après avoir subi un tir de contre préparation intense. Collant magnifiquement au feu roulant, les troupes d'assaut réduisent les nids de mitrailleuse, nettoient les abris occupés.

A 07h10, Morisel est en notre possession. Par des moyens de fortune, le 68ème passe l'Avre et commence la prise et le nettoyage de Moreuil. L'ennemi résiste courageusement dans le village ou de nombreuses mitrailleuses se dévoilent. Rompus à la réduction des nids de résistance, les chasseurs manoeuvrent, tournent les obstacles.

A 08h40, la liaison est établie entre les 28ème, 68ème, 64ème et la compagnie du 17ème Bataillon. Moreuil est complètement nettoyée. Grâce au mouvement rapide de nos éléments d'attaque, nos pertes ont été  extrêmement légères (...)."

Rapport de la 66ème Division, Division de Chasseurs, Etat-major, 3ème Bureau, n°238/3, odre d'opération n°322.

 

 

Officiers de Chasseurs et du Génie après l'attaque sur Morisel.

 

 

"L'attaque menée le 8 août par le 68ème BCA s'est exécutée conformément aux dispositions prévues dans les différents plans d'engagement, tous les objectifs fixés ont été atteints. (...).

a) Prise de Morisel

Une attaque de deux compagnies et 3 S.M. débouchant des lisières Est du bois Billot ayant pour premier objectif Morisel. Une attaque de 1 compagnie et 1 S.M. depuis le bois Warlet avec le même premier objectif. Entre ces deux attaques, une section de liaison ayant pour mission de prendre à revers les défenseurs du ravin Nord du Bois du Billot. Une compagnie (moins une section) et 2 S.M. réserve du Commandant du Bataillon dans les parallèles de départ des lisières Est du Bois Billot.

Le débouché des parallèles s'est effectué d'un bond, derrière notre barrage roulant et malgré les feux de l'artillerie et des mitrailleuses allemandes. A droite, la 8ème compagnie (Cne Odru) enlève le cimetière de Morisel et pénètre dans ce village par le Sud-Est. Mais une mitrailleuse ennemie installée dans le chemin creux (Castel-Morisel) gène la progression de sa gauche. Le Cne Odru se porte personnellement contre elle, tue les mitrailleurs sur leur pièce et s'installe dans Morisel où il va couvrir le flanc droit du bataillon pendant sa progression sur Moreuil.

Au centre, la 6ème compagnie (Ltnt Chopy) nettoie à l'aide de lance-flammes les abris du chemin creux Castel-Morisel, entre dans Morisel par l'Ouest et en réduit les défenseurs et ne s'arrête qu'en bordure de l'Avre. Comme le Cne Odru, le Ltnt Chopy marchant à quelques mètres en avant de sa première vague tue sur leur pièce les servants d'une mitrailleuse installée à la carrière 11.33 qui gênait la progression de sa compagnie.

La section de liaison (9ème compagnie) prend à revers les défenseurs du chemin creux Castel-Morisel, tendant la main à la compagnie débouchant du bois Warlet. A gauche, la 7ème compagnie (Ltnt Regnault) malgré la très vive résistance qu'elle rencontre à son débouché du Bois Warlet (mitrailleuses installées au chemin creux) arrive sur l'Avre d'un seul bond, tuant ou capturant tout ce qui résiste sur son passage.

L'attaque ayant débouché à 06h35, la totalité de Morisel était en notre possession à 07h10.

 

b) Passage de l'Avre

Aussitôt et sans attendre l'arrivée des sapeurs du Génie qui doivent établir des ponts, pionniers et chasseurs du 68ème BCA se mettent à l'oeuvre pour rétablir les passages. Tous ont hâte d'atteindre Moreuil et de ne pas laisser seuls aux prises avec les défenseurs du village les camarades du 28ème BCA.

Par des moyens de fortune, les 6ème et 7ème compagnies franchissent la rivière et commencent le nettoyage de la partie centrale de Moreuil en liaison à gauche avec le 28ème, pendant qu'un peloton de la 9ème compagnie et 2 S.M. viennent border le talus de la voie ferrée en soutien des compagnies engagées dans Moreuil.

 

Un des ouvrages provisoires mis en place sur l'Avre par le Génie à Moreuil.

 

c) Prise de Moreuil

L'ennemi oppose une très vive résistance dans un combat de rues acharné. De chaque maison partent des coups de fusil, à chaque carrefour se dévoilent une ou plusieurs mitrailleuses, l'une d'elles dans les ruines de l'église  servie par un officier ne sera réduite que par la mort de celui-ci. Mais, rompus à la manoeuvre et à la réduction des îlots de résistance (utilisation du tir en marchant), entraînés par leurs officiers qui, le mousqueton à la main, font le coup de feu, et animés de la volonté de vaincre, les chasseurs progressent malgré tout, s'emparant du village, maison par maison, rue par rue.

A 08h40, toute la partie de Moreuil qui doit être conquise par le 68ème est entre nos mains, la liaison établie  avec le 28ème à l'Ouest et le 17ème à l'Est. Mais le 64ème BCA n'a pas encore atteint Moreuil, alors commence le nettoyage par le 68ème de la partie Sud-Est du village. Prenant à leur compte une partie des objectifs du 64ème, ils s'avancent, en combattant, à sa rencontre et bientôt les deux Bataillons font leur jonction aux abords du château.

 

Butin

Plus de 240 prisonniers (dont trois officiers et treize sous-officiers), une vingtaine de mitrailleuses, treize grenatenwerfer, quatre minenwerfer, quatre caissons de 77, une quantité considérable de munitions, fusils, appareils divers sont restés entre nos mains. Environ 25 blessés sont passés au P.S. du bataillon et une trentaine de cadavres (dont deux officiers) ont été rassemblés. Mais il est certain que ce chiffre serait très sensiblement augmenté si l'on pouvait dénombrer ceux qui sont enfouis sous les décombres  ou brûlés dans les sapes.

 

Pertes

La vigueur avec laquelle l'assaut a été mené, l'habileté manoeuvrière (...), l'aide extrêmement efficace des lance-flammes (...), l'action personnelle des officiers (...) nous ont permis d'atteindre nos objectifs avec des pertes relativement légères: 9 tués, 28 blessés (...).

Compte rendu de l'attaque du 68ème BCA.

 

 

Après guerre, la plupart des départements sinistrés (Ardennes, Meuse, Oise, Somme, Vosges,...) vont faire l'objet entre 1919 et 1921 d'enquêtes pour évaluer et quantifier les dommages de guerre en vue d'organiser la reconstruction des zones dévastées.

En 1921, une décision ministérielle invite les différents cantons de France à adopter comme filleule une commune des régions sinistrées afin d'apporter aux populations de ces zones un secours matériel. Proposée par l'Union des Grandes Associations Françaises pour l'Essor National, l'initiative sera validée par le gouvernement Doumergue. C'est dans ce cadre que le Calvados est invité à s'intéresser à 49 communes de la Somme.

C'est au cours d'une réunion se tenant à l'hôtel de ville de Condé-sur-Noireau que le canton éponyme décida d'adopter la commune de Morisel le jeudi 24 février 1921. Etaient alors présents Messieurs Eugène Mollet (conseiller général), Trolley (1er adjoint de Condé), Camille Cautru (député), Sevrain (sous-préfet de Vire) et des autres maires du canton.

Au cours de cette réunion Monsieur Sevrain rappela la situation de Morisel :"Le cimetière a été complètement bouleversé, 102 immeubles sur 103 ont été entièrement détruits et ne sont pas réparables. L'école et l'église n'existent plus. [192 des 460 habitants recensés en 1914] sont rentrés (...) il leur manque les objets les plus nécessaires: linge, effets, meubles, ...".

A l'unanimité, il est créé un Comité cantonal pour Morisel dont la présidence est confiée à Eugène Mollet qui envoie alors un courrier à la mairie de Morisel pour qu'elle détermine les besoins immédiats de ses administrés. Le 09 avril 1921, arrive la réponse de la mairie:

"Monsieur,

Nous ne sommes donc plus ignorés, isolés, abandonnés. Les généreux habitants du canton de Condé-sur-Noireau ont pensé que les Français dont le sol, les propriétés avaient été épargnées par les barbares, devaient secourir leurs frères plus éprouvés par l'affreux cataclysme de 1914-1918.

Le conseil municipal réuni dernièrement au sujet de vos bienveillants projets, s'associe avec moi pour vous envoyer personnelllement, à toutes les municipalités et aux habitants du canton de Condé-sur-Noireau l'expression de leur plus sincère gratitude.

Revenus au foyer détruit, âprement voués au relèvement de leurs terres ravagées, les habitants de Morisel se sentiront réconfortés par la pensée que ce  ne sont plus que de belles paroles qui sonnent à leurs oreilles pour les encourager. Merci donc de la bienveillante tutelle qui nous soutiendra dans nos labeurs quotidiens.

Vous voulez bien nous demander quels sont nos besoins immédiats. Inutile de vous dire que nous manquons de tout : depuis nos maisons jusqu'au plus petit article de ménage. Pour le moment, je pense que vos dons pourraient consister en vêtements divers, linge de corps et de literie, chaussures, articles de ménage, etc..."

Par l'intermédiaire du comité, la population du canton normand va se montrer généreuse. De nombreuses quêtes et manifestations sont organisées entre 1921 et 1923 dans les communes du canton. Les industriels fournissent draps, vêtements  et de nombreux particuliers ( ouvriers, commerçants, agriculteurs, enfants des écoles) offrent les objets de première nécessité, mobiliers, matériels agricoles et semences, argent, fournitures scolaires, livres.

C'est avec l'érection du Monument aux Morts et la reconstruction de la mairie que se termina le relèvement de la commune martyrisée en 1931. En 1931, fut créé le comité pour l'érection du Monument aux Morts (il sera dissout son oeuvre accomplie en 1932). Le Monument se compose d'une statue de Poilu, il s'agit d'un modèle de Henri Charles Pourquet fabriqué en série sous le nom de Résistance. Elevé par un  marbrier local Pierre Martin le monument en porte la signature. Quant à la grille, elle est l'oeuvre du ferronnnier moreuillois Joseph Camus.

 

 

D'autres communes de la Somme bénéficièrent de la générosité normande. Wiencourt-l'Equipée fut adoptée par le canton d'Aunay-sur-Odon, Thennes par celui de Bény-Bocage, Mézières-en-Santerre par Saint-Sever-Calvados, Warsy par Vassy et la Neuville-Sire-Bernard par Vire.

 

"NE JAMAIS OUBLIER, TOUJOURS SE SOUVENIR"