Lihons 1914-1915

UN VILLAGE DANS LA TOURMENTE DE LA GRANDE GUERRE

Lihons, septembre 1914-mai 1915

 

Toutes les photos et CP collection de l'auteur (S. Pinard) sauf indication contraire. Nous remercions M. paul Thomas pour l'autorisation accordée d'utilsier des documents issus de son site sur le 140ème RI ( voir nos liens).

 

Carte des opérations. JMO 53ème brigade, SHD 26N 511/1.

 

            Souvent « réduit » à juillet 1916, le champ de bataille de la Somme a pourtant été « actif » tout au long de la guerre en particulier sur le front du Santerre.

            Ceci est particulièrement vrai pour le secteur de Lihons où les combats furent nombreux dès septembre 14 et ce pratiquement sans interruption. Cet article s’attardera sur les combats de 1914/1915 en insistant sur l’action du 140ème RI appartenant à la 27ème Division.

 

            Le petit village de Lihons se trouve au cœur du Santerre, vaste plaine agricole propice à la guerre de mouvement, pourtant ici on s’enterrera très vite et ce dès septembre 14 ( cf Champien 23/30-09-1914) et les hommes des deux camps s’accrocheront à cette terre qu’ils nourriront de leur souffrance, de leur peur, de leur sang ! Situé à l’immédiate proximité de Chaulnes, le village forme  saillant et menace la voie ferrée et le central ferroviaire de Chaulnes d’où l’acharnement germanique à neutraliser ce point de résistance français.

 

            C’est le 25/09/1914,  alors que les derniers feux des combats pour le contrôle de Chaulnes s’éteignent et au cours desquels les Français ont du reculer face à l’écrasante supériorité numérique et matérielle allemande, que Lihons devient le point d’ancrage d’une nouvelle ligne de résistance française tenue notamment par les 52ème et 140ème RI.

            C’est en suivant la voie ferrée que les unités du 140ème se replient progressivement sur Lihons, tout en restant au contact de l’ennemi, pour y trouver refuge dans des tranchées en cours d’aménagement. Ce repli s’effectue en bon ordre et sous la protection du 3ème bataillon du 52ème aux ordres du commandant Neeser installé dans et autour du hameau de la Station. Leur chef blessé, les braves du 52ème se joignent à leur tour au mouvement du 140ème.  Au cours de l’opération ce régiment perd 8 tués, 69 blessés et près de 104 disparus.

Mourir pour une voie ferrée!

            Du 26 au 29 septembre, le 52ème prend part à une offensive en vue de la reconquête de Chaulnes pendant que le 140ème panse ses plaies en organisant la défense de Lihons. L’offensive est un échec, les pertes sont lourdes y compris pour le 140 qui bien que resté en arrière perd encore 44 tués, 88 blessés et 107 disparus : lourd bilan pour cinq jours de combats et de bombardements. Au cours de ces journées de fer et de sang, l’héroïsme ne fera jamais défaut. Le soldat-brancardier Pelloux du 140ème est cité le 11 octobre à l’ordre de l’armée pour avoir « fait preuve d’un courage extraordinaire dans les journées du 25 et 26 septembre en accomplissant ses fonctions sous la mitraille », on ne dira jamais assez le courage et l’abnégation de ces hommes qui n’ayant pour armes que leur volonté de secourir leurs camarades s’offraient à la mort pour sauver la vie des autres sur les champs de bataille !

            Cette opération coûtera également cher au 52ème. Le commandant Fort emmène les 2ème et 4ème compagnies à l’assaut du bois à l’ouest de Chaulnes. Les Allemands y sont solidement installés et fortement retranchés qui, malgré le courage et l’allant des Français, conservent l’avantage et le bois. Blessé à la tête de ses troupes, le commandant est capturé par l’ennemi qui va, marquant ainsi le peu de cas qu’il fait des conventions de Genève, fusiller des soldats du 1er bataillon accusés d’avoir continué à tirer malgré leur reddition. Mensonge ou réalité, comment trancher lorsque l’on imagine la violence et l’intensité de ces combats, peut-on d’ailleurs seulement les imaginer ? Les survivants de ce « nettoyage » seront utilisés comme « bouclier vivant » en étant forcés de creuser des tranchées face à celles tenues par leurs camarades du 52ème, et certainement sous le feu français ?  Les pertes du 52ème pour ces journées représentent près de la moitié de l’effectif initial du régiment.

            En date du 30/09, le JMO du 140ème établit le tableau suivant de ses pertes : 11 tués, 82 blessés et 241 disparus ; les officiers ne sont pas épargnés, le sous-lieutenant de réserve Riquel Maurice Léonce trouve la mort durant les combats des 25/26-09 ainsi que les lieutenants Brossolet, Bergougnoux, il en va de même pour les capitaine Monier Joseph, Devaussay de Blavous, et Lacroix tandis que le capitaine Gisclard (ou Guiscard ?) lui est blessé !

            Du 1er au 3 octobre, l’artillerie teutonne redouble d’activité et intensifie ses tirs sur le village de Lihons qu’elle réduit peu à peu à l’état de ruines. Ces tirs sont le prélude à une attaque, lancée dans la nuit du 3 au 4 octobre, entre 23h00 et minuit, qui n’obtient pas de résultats notables, le 140 reste ferme sur ses positions. Dans le même temps, on se bat pour le contrôle de la ferme de Lihu ainsi le sous-lieutenant Guillaume Georges-Joseph conduisant « sa section à l’attaque de tranchées fortement occupées par l’ennemi avec beaucoup d’énergie et de décision » obtient d’être cité à l’ordre de l’armée pour son attitude durant cette action menée le 02/10/1914.

Ce qui reste de la ferme Lihu.

            La journée du 4 est marquée par deux faits d’importance. D’abord l’arrivée d’un renfort de 130/140 officiers et hommes de troupes. L’autre événement semble accréditer l’idée que l’ennemi recourt fréquemment à la ruse au mépris de toutes les règles de la guerre. En effet, ce jour, un parlementaire arborant le drapeau blanc approche des lignes françaises, derrière lui avance un fort parti en armes. Arrivé à quelques distances de la tranchée française, le parlementaire refuse d’avancer plus avant sans plus préciser la raison de sa présence. Méfiants les hommes du 140 ouvrent le feu sur cette étrange délégation.

            Du 5 au 11 octobre, la situation reste calme, chacun renforce et perfectionne ses retranchements depuis lesquelles sont lâchées quelques salves de mousqueterie. Seule nouveauté notable, l’arrivée côté français de pièces d’artillerie mises à disposition du 140ème les 6 et 9 octobre. Le 12, grâce à de nouveaux renforts, le 140ème se reconstitue à 3 bataillons alors qu’il se trouvait réduit à 2 depuis fin septembre du fait des lourdes pertes subies. De cette date jusqu’à sa relève le 20 octobre par le 52ème RI, les activités du 140 se bornent à renforcer et réparer les tranchées.

Tranchée au coeur de ce qui fut le village de Lihons.

            Du 21 au 29 octobre, le 52ème harcèle de façon continue les positions ennemies jusqu’à réussir le 30 à s’emparer de la côte 101 depuis laquelle l’ennemi menaçait le dispositif français. La riposte allemande ne tardera guère ! Le lendemain, de 6h à 9h du matin, l’artillerie ennemie déverse un déluge de feu et d’acier sur l’ensemble des défenses de Lihons, près de 10 000 obus tombent sur l’infortuné village d’après le JMO du  52ème. Dès la fin de ces tirs, l’infanterie feldgrau se lance à l’assaut des positions françaises bouleversées et où les 5ème et 9ème compagnies du 52ème ont été étrillées. A 9h30, l’ennemi est aux portes du village qu’il s’apprête à investir. Seul le courage et le sang-froid du sous-lieutenant Favier, qui s’installe derrière une mitrailleuse dans les vestiges d’une maison de la 2nde ligne défensive, stoppe l’ennemi par des tirs très efficaces. Le caporal qui le seconde tué sur la pièce, le pourvoyeur hors de combat, Favier continue seul à contenir l’ennemi. Celui-ci marque le pas alors qu’il ne se trouve qu’à quelques dizaines de mètres de la place du village. Ne pouvant plus progresser, les landser prennent position dans les ruines de maisons avoisinantes et arrosent les tranchées françaises.

Le centre du village après les combats livrés en octobre 1914.

            Entre 11h et 16h, le 31/10, les 2nde et 10ème  compagnies du 52ème renforcées par des compagnies des 7ème (ordre leur avait été donné de reprendre les tranchées conquises par les Allemands sur la route de Chilly à Lihons) et 14ème bataillons de chasseurs réoccupent la partie sud de la route de Chaulnes. La partie nord reste inaccessible et sous le feu des Allemands dont un fort parti réfugié dans une maison empêche toute progression aux Français.  Il faudra l’intervention d’un 75 du 2ème RA amené à la force des bras pour mettre un terme à cette résistance opiniâtre par quelques tirs à bout portant, des défenseurs il ne restera que des morts et des blessés.

            Pendant les combats, une section va se distinguer par son courage et sa volonté de ne pas céder un pouce de terrain à l’ennemi. Il s’agit de la section de l’adjudant Cousson du 52ème qui, occupant un poste très avancé sur la route Pressoire-nord, s’accroche à sa portion de tranchée au milieu de la marée ennemie et maintient sa position. L’attaque terminée, cette courageuse unité ne compte plus que le quart de son effectif initial !

            Du 1er au 2 novembre, le 52ème emmené par le capitaine Martin reconquiert de haute lutte toutes les positions perdues à l’exception de la côte 101 que les Allemands réoccupent.

            Pour cette attaque les allemands ont engagé de gros moyens d’artillerie et d’importants effectifs (IR 17, 60, 70, 137, 138, 174). Les combats ont coûté au 52ème RI 10 officiers et 610 hommes de troupes tués, blessés ou disparus. Le 05/11, le 52ème va relever les 7ème et 14ème bataillons de chasseurs à Maucourt, c’est le 140 qui vient prendre la défense de Lihons. Entre temps, ce régiment s’est illustré par sa conduite héroïque et victorieuse lors des combats du Quesnoy-en-Santerre.

            La relève s’effectue sans réelles difficultés. Le 140ème RI va occuper des tranchées à la sortie ouest de Lihons et d’autres entre la route de Chilly et la voie ferrée.

 

            Les 6 et 7 novembre, le 140 renforce ses tranchées et les dote de créneaux de tirs mieux aménagés et mieux protégés. Jusqu’au 27/11, le secteur reste calme, on s’active à améliorer les positions défensives de part et d’autre de la ligne de feu. Les fusillades de tranchées à tranchées sont quotidiennes et parfois accompagnées de quelques tirs d’artillerie allemands. Le fait central de ce mois de novembre reste l’obtention de la médaille militaire par le sergent de Morand de Jonffrey accompagnée de la citation suivante : « a été l’auxiliaire le plus éclairé, le plus intelligent, le plus dévoué du chef d’un détachement (…). Toujours prêt aux missions périlleuses, d’un calme imperturbable dans le danger s’est montré un homme de haute valeur ». Logiquement, il est promu lieutenant le 09/11/1914.

            Le 27 novembre, l’artillerie ennemie ouvre un feu violent sur les positions françaises, craignant qu’il ne s’agisse d’un prélude à une attaque de l’infanterie germanique, le commandement français donne l’ordre le 28 de maintenir un feu intense pour empêcher les landser de sortir de leurs tranchées pour un assaut en règle des positions françaises. Peu à peu, le calme revient sur l’ensemble du front et se maintient jusqu’au 2 décembre.

L'ennemi est tout près!

            Le 03/12, le commandant Goubeau, en provenance du 7ème BCP, prend la direction du 140ème, il sera très vite nommé lieutenant-colonel.

Le commandant Goubeau (coll. P. Thomas).

            Du 05 au 16/12, rien n’agite ce secteur, les pertes restent « minimes » : 3 tués et 18 blessés au 140 qui reçoit un renfort 293 hommes arrivés le 13/12 sous les ordres du sous-lieutenant Revol qui trouvera bientôt la mort à Lihons le 07/01/1915.

            Pendant tout ce temps, la question de la côte 101 reste en suspend et continue à représenter une épée de Damoclès sur les lignes françaises. La reconquête de cette position est décidée, elle se fera du 16 au 18 décembre. C’est au 140 que revient ce redoutable honneur de monter à l’assaut. L’opération débute, classiquement, par des tirs d’artillerie les 16 et 17/12 sur les positions allemandes. Le 18 l’ordre d’attaquer la Briqueterie et la côte 101 est donné. Commencée à 6h30 et menée par huit colonnes, elle débouche dès 7h sur la côte 101 qui tombe sans guère de résistance de la part des Allemands. Ce qui vaut au régiment les félicitations de ses chefs et en particulier du général Baret commandant le 14ème corps d’armée: « le 18 décembre, la 1ère compagnie du 140ème RI a enlevé (…) les tranchées de la côte 101, faisant 55 prisonniers. Malgré un bombardement violent et de sérieuses contre-attaques de l’adversaire, ces troupes puissamment secondées par l’artillerie et le génie de la 27ème division et par la compagnie du génie 14/3 se sont maintenues sur le terrain conquis ». La position est de suite mise en défense autour de la Briqueterie et de trois éléments de tranchées (l’un à l’est affichant une forme circulaire, un petit élément de tranchée au sud et au nord une tranchée plus importante courant jusqu’à la côte 101) dans lesquelles on aménage des créneaux de tir faisant face à l’ennemi, des sapes sont creusées et des réseaux de fils barbelés mis en place à la nuit tombée. La contre-attaque allemande viendra à 15h30, partant de positions situées à moins de 40 mètres de la Briqueterie elle échouera sous le feu de l’infanterie française et aussi parce qu’elle ne parvient pas à s’extirper des réseaux de barbelés qui la ralentisse. Infructueuse, l’attaque teutonne n’en a pas moins coûté cher au 140 : 33 tués, 91 blessés, 49 disparus et 3 mitrailleuses détruites. Néanmoins, la journée du 18/12 est un succès qui vaut au régiment les félicitations de son chef : « le chef de corps exprime aux officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 1er bataillon et du groupe franc du 140 RI ainsi qu’à ceux du peloton de la compagnie 14/3 du génie mis à sa disposition, sa très vive satisfaction de la bravoure  et de l’endurance dont ils ont fait preuve pendant la journée du 18. Il adresse en particulier ses félicitations à la 1ère compagnie, au groupe franc, au peloton du génie qui ont enlevé la Briqueterie et les tranchées de la côte 101. Un point d’appui important pour la défense de nos lignes a été enlevé. Le chef de corps compte sur la valeur de son régiment pour la garder ». 

            Le courage des hommes du 140 et de leurs cadres est également salué par le général de Castelnau commandant la 2ème armée en des termes élogieux :

            « Le chef de bataillon Roussel (…) s’est signalé le 18/12 par son activité et zèle en organisant l’attaque de la tranchée allemande de la côte 101 (…) a dirigé personnellement le 19 sous un bombardement violent, les travaux sur le terrain conquis dont il assuré la conservation malgré plusieurs contre-attaques ».

            « La 1ère compagnie, le 18/12 sous les ordres du lieutenant Salanié, s’est emparé à la baïonnette d’une tranchée allemande (…) a conservé le terrain conquis faisant preuve, malgré les pertes éprouvées d’une énergie et d’un courage remarquables ».

            « Le sous-lieutenant Large a entraîné brillamment une colonne à l’attaque de retranchements ennemis, s’est emparé personnellement d’un fantassin ennemi qui jetait des bombes par-dessus le parapet. Blessé a refusé de se laisser emporter pour ne pas exposer des hommes au feu de l’ennemi ».

            « L’adjudant Millet (Maillet ?), le sergent Joussard [ont] été tué à la tête d’une colonne qu’ils entraînaient bravement  à l’attaque de retranchements ennemis qui ont été enlevés».

           

            Les trois jours suivants l’ennemi bombarde avec plus ou moins d’intensité les tranchées de 1ère ligne et les boyaux de communication en préparation d’une contre-attaque qui surviendra le 24/12. Ce jour-là, un bombardement d’intensité croissante s’abat entre 11h et 16h sur les lignes françaises. L’objectif  premier de l’infanterie feldgrau est la reconquête de la côte 101.

            Malgré la violence des tirs allemands, les défenseurs de Lihons parviennent à renforcer leurs positions à la Briqueterie pour pouvoir soutenir, de leurs feux, leur 1ère ligne sur la route de Vermandovillers (Pré aux vaches) et sur celle de Pressoire. Très efficace, les artilleurs allemands ont fortement endommagé les tranchées et compromis la sécurité des boyaux de liaison. Sous l’effet de ce barrage, la 8ème compagnie du 140 RI a perdu la moitié de ses effectifs et son chef le lieutenant Cartoux a été blessé. Accourue en soutien, la 6ème compagnie a, elle aussi, subi des pertes, il en va de même pour la 7ème. A elles deux, ces compagnies perdent 14 tués et 18 blessés.

            Jusque 16h30, les Français maintiennent leurs positions entre les routes de Vermandovillers et Pressoire. Privés de leur chef, blessé, les débris de la 8ème compagnie ont abandonné leurs postes de combat sur la côte 101. Les Allemands semblent devoir l’emporter et être en mesure de menacer la Briqueterie. Le lieutenant-colonel Goubeau ordonne qu’une contre-attaque soit menée au plus tôt par la 12ème compagnie aux ordres du lieutenant Lacroix qui s’élance à 17h30 en direction de la côte 101 où il prend pied.

            Le 25/12, le front se stabilise, la Briqueterie un temps menacée est finalement toujours aux mains de ses défenseurs français. Ceux-ci décident alors d’investir la tranchée située à l’est de leur position et qui est inoccupée, du moins en apparence. Une demi-section de la 3ème compagnie est envoyée pour l’occuper.  Mal leur en a pris ! De très nombreux Allemands, restés dissimulés, tiennent cette position et capturent la reconnaissance française, seule une poignée de soldats échappe à la capture. Malgré ce revers, les combats des 24-25/12/1914 sont un succès français, la Briqueterie et la côte 101 restent entre nos mains. Cette double position représente une menace pour l’ennemi. Il s’agit cependant d’une position délicate à tenir. En effet, formant saillant dans le dispositif ennemi, elle est menacée depuis le nord, le sud et l’est et surtout reste mal reliée aux défenses françaises ancrées sur et autour de Lihons.

            Les journées des 24-25/12 auront, elles aussi, leur lot d’héroïsme qui vaudra à leurs auteurs la reconnaissance de leurs chefs !

            Ainsi, le sous-lieutenant Cartoux est promu chevalier de la L égion d’Honneur pour sa belle conduite et obtient une citation signée de Joffre : «  blessé une 1ère fois, est revenu au front à peine guéri (…). Le 24/12 a maintenu avec la plus grande énergie sa compagnie sur les positions qu’il défendait, malgré un violent bombardement de grosse artillerie, a été grièvement blessé ». Les sous-officiers et les soldats ne sont pas en reste et ne seront avares ni de leur courage, ni de leur sang. D’où de nombreuses citations à l’ordre de l’armée pour ces journées terribles de Noël 1914 ! « Le sergent Maraschin s’est signalé à maintes reprises  pendant la campagne (…). Le 24/12, après que les deux officiers de sa compagnie eurent été blessé, a montré la plus belle énergie en entraînant vigoureusement sa section à l’assaut reprenant à l’ennemi la plus partie du terrain qu’il avait conquis », « le sergent Drevon, cerné par l’ennemi dans une tranchée, s’est barricadé et a résisté jusqu’à la mort », « le soldat Meunier Gérard a été tué en entraînant son escouade à l’assaut », « le soldat Ducruet s’est signalé par sa bravoure dans l’attaque de retranchements ennemis qui ont été enlevés, a été blessé ».

            Comment en lisant de tels faits, de tels sacrifices, de telles sommes d’héroïsme et d’abnégation ne pas songer, tel le baron de Marbot, «quelle époque ! quels hommes ! ».

 

            Le 26/12, le feu des combats s’éteint peu à peu, les pertes du 140 pour ces deux jours de combat s’élèvent à 77 tués, 282 blessés et 100  disparus. Du 27 au 31/12, les Allemands bombardent sporadiquement la côte 101 et la Briqueterie occasionnant des pertes supplémentaires aux unités du 140 : 4 tués et 22 blessés.

 

            L’année 1914 se termine favorablement aux Français sur cette portion du front, ils ont su conquérir et conserver des positions ennemies qui les menaçaient et maintenir leur dispositif défensif intact autour de Lihons.

 

            Le mois de janvier 1915 se déroule sans faits majeurs. L’ennemi bombarde quotidiennement avec plus ou moins d’intensité les positions françaises et en particulier la côte 101 et la Briqueterie qui sont une forte menace pour eux en raison de sa situation en saillant. Conscients de cette menace, les landser construisent face à ces positions de nombreux abris pour mitrailleuse et des « abris blindés », s’agit-il là de blockhaus semblables à celui encore visible à la sortie de Chilly en direction de Lihons ? Pour la 1ère fois, les Allemands semblent utiliser là de l’artillerie de tranchée que les Français désignent par le terme de « bombes à tige». Ces tirs de harcèlement coûtent au 140ème RI près de 60 blessés et 9 tués (dont le sous-lieutenant Revol arrivé depuis 3 semaines au front). 

            Janvier se terminera sur une triste affaire, à savoir l’exécution le 26 d’un soldat accusé d’abandon de poste. L’homme prétend avoir simplement voulu aller à se réchauffer, c’est en tour cas ce qu’indique le secrétaire du commandant du 140, Paul Thomas dans un courrier adressé à sa famille. Ce geste malheureux, survenant après les très durs combats de décembre 14, ne pouvait se terminer autrement que devant un conseil de guerre qui prononça la peine de mort à l’encontre de l’infortuné soldat.

 

Lettre de Paul Thomas évoquant l'exécution du 26/01/1915, coll. P. Thomas.

Grâce au travail remarquable de F. Mathieu, 14-18 les fusillés, on peut clairement identfier l'homme concerné. Il s'agit de Bérard Jean-Baptiste, né  en décembre 1893 dans la Loire où il avait un temps exercé la profession d'enseignant. A la fin de l'année 1913, il déserte pour se rendre en Suisse alors qu'il s'était peu de temps auparavant engagé volontairement ce qui lui vaudra une condamnation à 18 mois de prison. La guerre étant là, il est grâcié  en septembre 14 pour être envoyé sur le front de Lihons au sein du 140 RI. Le temps qu'il y passe le voit être sanctionné à plusieurs reprises pour des fautes de néglicence. Le 18 janvier 1915, de agrde en 1ère ligne, il abandonne son poste sans ordre, lors de son audition il reconnaît les faits lui étant reprochés tout en prétendant avoir cherché à faire prévenir ses supérieurs par un camarade du fait qu'un malaise lui faisait obligation de quitter son poste. Le 25 janvier 1915, un conseil de guerre spécial du 140 le condamne à mort pour "abandon de poste  en présence de l'ennemi". Le 26, à 7h05, contre un mur de l'église du village et devant les troupes réunies, il est passé par les armes. A noter, que le condamné aurait reconnu devant l'aumônier, lui apportant le réconfort de la religion, un meurtre d'une femme commis en 1913 en Suisse.

 

            Février passe au même rythme lent de la guerre qui s’enterre que le mois précédent avec toutefois la mise en œuvre côté français de deux  coups de main ordonnés par le commandement de la division  avec pour objectif de s’emparer des tranchées et barricades allemandes verrouillant la route de Vermandovillers mais sans qu’il soit envisager de les conserver. L’opération vise en fait à perturber les travaux défensifs ennemis et surtout à ramener des prisonniers que l’on espère sources de précieux renseignements. Elle sera menée par un groupe de  33 volontaires emmenés par le sous-lieutenant Haidt et bénéficiera de tirs d’appui d’un mortier de 15 et d’un canon Aasen. Il s’agit d’un canon de tranchée tirant des projectiles explosifs chargés de poudre noire et dont l’usage est aussi dangereux pour ceux qui sont visés que pour ceux qui servent cette arme ! Les hommes seront fortement dotés de grenades, de cisailles et surtout de pioches pour détruire les travaux déjà effectués par l’ennemi, ils seront en chandail ou vareuse sans capote et emporteront leur fusil et leur baïonnette et avec une seule cartouchière. L’attaque aura lieu le 15/02 à 04h15. L’opération sera couronnée de succès, le groupe franc ramenant 6 prisonniers de l’IR 60, tuant 4 ennemis et ne souffrant que de pertes légères (3 blessés). Le repli s’effectue sans difficulté grâce aux tirs de couverture effectués l’infanterie appuyée par le mortier et le canon mis à disposition à cet effet.

            Un tel coup de main,  en plus de rapporter des informations sur le dispositif ennemi, permet aussi d’entretenir le moral des troupes en leur donnant un exemple à suivre. C’est pourquoi les 33 volontaires et leur chef seront présentés quelques jours plus tard aux bataillons du 69 RIT stationnés à Rosières-en-Santerre. Ce coup de main vaudra encore quelques louanges au 140. Le sous-lieutenant Haidt est fait chevalier de la légion d’Honneur ; le sergent Gaymard Désiré, le caporal Volkmann Ernest et le soldat Barlet Pierre reçoivent la médaille militaire. Ce dernier, blessé pendant le coup de main décédera à l’ambulance d’Harbonnières. Volkmann, lui trouvera la mort en juin 1915.

            Le reste du mois de février s’écoule sans fait marquant en dehors du 17/02 où, sur ordre, des tirs d’infanterie très intenses sont opérés contre les lignes allemandes pour obliger l’ennemi à les garnir de troupes qui sont ensuite prises à partie par notre artillerie qui cherche également à repérer à cette occasion les coups de départ des feux de contre-batterie pour ensuite pouvoir les marmiter.