Lihons 1914-1915 suite

            Le 16/02, le lieutenant Ollé-Laprune, de la section de mitrailleuse, est tué alors qu’il cherchait à s’approcher des lignes allemandes pour y obtenir des renseignements. Au total, le 140 perd en février 17 tués et 52 blessés.

            Mars n’apporte guère de changements, on s’installe dans la guerre de position. La guerre devient « routinière » : bombardements quotidiens à heures fixes ou presque pour se rappeler au bon souvenir de l’adversaire, aménagement des tranchées que l’ennemi s’efforce de désorganiser à coups d’obus, patrouilles et coups de main en quête de prisonniers ou de renseignements. Quoique « assoupie » la guerre prélève son tribut en ce mois dédié au dieu de la guerre parmi les soldats du 140 : 9 tués, 76 blessés. On ne se tue pas en masse sur le front de Lihons, on s’y use ! Et parfois, des faits plus marquants viennent en troubler le train-train d’une guerre destinée à durer, à s’éterniser.

            Ainsi le 19/03, pour parer à une nouvelle menace, celle sournoise, des mines, des postes d’écoute sont installés sur la route de Pressoire et en direction d’Hallu (côte 95). Le lendemain, les fantassins du 140 remportent une victoire aérienne ! Aux alentours de 10h, un avion allemand survolant à basse altitude les lignes françaises est pris pour cible par les hommes postés le long de la voie ferrée. Son moteur s’arrêtant l’aéronef va s’écraser au-delà de nos lignes en un lieu dénommé la Demi-Lune. Cette victoire semble être validée par le fait que le lendemain des avions ennemis, passant au même endroit, volent hors de portée des fusils français !

            Les 21 et 22/03 l’ennemi scrute les défenses du secteur de Lihons et des alentours en utilisant pour poste d’observation l’une des cheminées de la gare de Chaulnes. Le 22, à défaut de détruire cet observatoire fort inquiétant, un canon de 37 est mis à contribution pour détruire les boucliers blindés des créneaux de tir des tranchées ennemies.

            Le 29/03 un coup de main est lancé à 4h15 contre un petit poste ennemi situé au sud-est de la Briqueterie, le raid est mené par 10 hommes et 3 sous-officiers aux ordres du sous-lieutenant Mouttet. Revêtus de vestes ou chandails, n’emportant que leur fusil et des cartouches dans leurs poches ainsi que de nombreuses grenades, ils devaient opérer le plus de destructions possibles et faire des prisonniers. Lorsqu’ils atteignirent leur objectif, ils le trouvèrent occupé par des Allemands en nombre supérieur qui surpris ouvrirent le feu sur les assaillants de façon désordonnée et inefficace avant de s’enfuir soit par un boyau de communication soit en enjambant le parados et en traversant le no man’s land pour rejoindre leur tranchée principale. L’effet de surprise n’ayant pas joué à plein, il ne fut pas possible de faire de prisonniers, néanmoins 5 Allemands furent tués alors que le groupe d’assaut ne comptait dans ses rangs que 4 blessés. L’opération bien menée, malgré son échec relatif, vaudra, à ses auteurs, les louanges du lieutenant-colonel Goubeau qui demandera la médaille militaire pour le sergent Montgelar (blessé pendant l’opération) et que soient cités à l’ordre de l’armée le sous-lieutenant Mouttet, le sergent-major Thierry et les soldats Chal, Guigni, Gueyrouard et Lacroix (tous deux blessés).

           

 

            Le mois d’avril qui suivit  verra, lui aussi, le 140 payer le prix du sang : 6 tués et 57 blessés. Il verra aussi des pelotons du 9ème Hussards venir renforcer les défenseurs. Qu’il était loin le temps où ces fringuant cavaliers chargeaient l’ennemi sabre au clair, combien devait leur être étrange cette guerre de terrassiers fouissant la terre pour s’y abriter avant pour beaucoup d’y trouver le dernier repos…

            Avril débute par la réalisation d’un nouveau coup de main sur le petit poste allemand déjà ciblé fin mars. Les objectifs restent inchangés : en bouleverser l’organisation et surtout ramener des prisonniers.  Aux ordres du sergent Bellon, 22 hommes se lancent à l’attaque le 02/04 à 20h45 sous la protection d’un Célérié prêt à lancer ses bombes sur l’ennemi si celui-ci devait s’aviser de contre-attaquer. Une fois encore, l’opération échoue ; la garnison, réfugiée dans la partie couverte de la tranchée, se défend, échappe à la capture et inflige des pertes à ses assaillants : le soldat Ginepro est tué, le sergent Favier  et 3 soldats plus ou moins grièvement blessé. L’état du soldat Calteau semble le plus sérieux. Le commandant du régiment demandera la médaille militaire pour Cinepro Louis et Calteau.

            Le lendemain, tôt le matin entre 3h30 et 4h30, une nouvelle tentative est faite contre les lignes allemandes. Cette fois l’objectif est plus sérieux, il s’agit de la tranchée située à 200 mètres des lignes françaises  à proximité du chemin de Lihu à Foucaucourt. D’envergure plus grande que l’attaque de la veille, l’opération implique davantage de soldats, une soixantaine sous la conduite du sous-lieutenant Guillet Lucien qui devait trouver la mort quelques semaines plus tard à la ferme de Toutvent, le 10/06/1915. Elle sera aussi plus coûteuse en vie, 4 tués et 11 blessés. L’échec s’explique par la trop grande distance à franchir et l’incapacité des assaillants à grenader efficacement l’ennemi du fait de cette distance. Seule « bonne nouvelle » de cette affaire, le 04/04 trois hommes déclarés morts rejoignent les lignes françaises après s’être tapis durant toute la journée du 03 dans un trou d’obus où la forte fusillade ennemie les avait contraint à s’abriter en attendant le couvert de la nuit pour retourner à leurs lignes. L’autre fait marquant de la journée est la récupération pendant la nuit de la dépouille du soldat Ginepro abandonnée dans le no man’s land. Le reste du mois s’écoulera sans faits majeurs pour le 140 qui à partir des 17-18/04 voit ses unités être relevées par fraction par le 75ème et partir au repos à Bayonvilliers.

            A signaler, le 07/04, ironie du sort, les renseignements, tant et si vainement recherchés lors des coups de mains successifs, viennent d’eux-mêmes au 140ème par la voie d’un déserteur de l’IR 117, qui d’origine alsacienne a choisi de se rendre plutôt que de continuer à combattre pour le Kaiser.

           

            6 tués et 27 blessés, tel est le bilan humain du mois de mai 1915 pour le 140ème RI. Mois qui va voir alterner périodes de repos et occupation des tranchées. Le 03/05, le régiment reprend la garde aux créneaux et aux parapets face à l’Allemand ; du 11 au 19/05 il est au repos à Bayonvillers et Vauvillers où l’on impose aux braves poilus des marches, des revues de détails, des travaux de propreté et de l’ordre serré ! Le temps passé aux tranchées est le plus souvent occupé à maintenir les défenses en état face à un ennemi qui fait de même et renforce ses propres installations.

            Réponse du berger à la bergère, ou plutôt du landser au poilu, le 27/05, c’est au tour de l’ennemi de lancer une forte reconnaissance sur la Briqueterie de Lihons. Leur attaque part du petit poste situé à 45 mètres des lignes françaises aux alentours de 1 heure du matin. Soigneusement préparée, l’affaire est soutenue par des tirs d’empêchement sur les tranchées couvrant la Briqueterie et les boyaux de communications tandis que les MG lâchent salves sur salves sur les positions françaises pour interdire tout départ d’un renfort à destination de la position menacée. Grâce au sang-froid de l’adjudant Adrien, qui tire fort à propos des fusées éclairantes, de nombreux Allemands sont repérés à ramper de trous  d’obus en trous d’obus en direction de nos positions et sont aussitôt arrosés à coups de pétards et grenades. Mais déjà, quelques fantassins ennemis prennent pied sur leur objectif et l’un va même s’emparer d’un sapeur du 4ème Génie qui ne devra son salut qu’à la vigoureuse intervention, sans armes et à coups de poing, du sergent Loyat de la même unité qui met en fuite son gardien ! Presque au même moment le capitaine Moulin et le caporal Gaymard du 140ème rameutent la section de réserve et la lancent sur les points les plus menacés du dispositif français. Le caporal Gaymard, à lui seul, met en déroute un parti ennemi blessant à la baïonnette un soldat puis un officier ennemi avant d’en abattre un 3ème à coups de fusil, face à tant de détermination les autres s’enfuient. A 2 heures du matin, l’action ennemie peut être considérée comme achevée et bien que les Français y aient perdu 3 tués, 3 blessés et un disparu probablement capturé à son poste de garde, là où l’ennemi a frappé en premier lieu. Deux cadavres ennemis sont resté dans nos lignes ils appartiennent à l’IR 16. La virulence et l’efficacité de la riposte française suscite l’admiration du commandant du 140ème RI, le lieutenant-colonel Goubeau, qui demande pour « sa belle conduite » la médaille militaire pour le caporal Gaymard et une citation à l’ordre de la division pour l’adjudant Adrien et le sergent Loyat.

 

Cimetière du 140ème RI à Lihons érigé en 1915, coll. P. Thomas.

 

            A partir des 25-26 mai, le 140ème quitte les lieux qui ont vu tant des siens mourir et tant d’autres faire de la plus grande des bravoures. Ses bataillons sont dirigés vers Guillaumont, Wiencourt et Cayeux d’où ils rejoindront ensuite les champs de bataille de l’Artois pour s’y illustrer à nouveau.

 

 

 

Avec tous nos remerciements à M. Paul Thomas qui nous a permis d'utiliser un extrait de la correspondance de son grand-père Paul Thomas (au centre du 1er rang sur la photo ci-dessous).

 

 

Les fiches de décès proviennent du site MDH.

 

"Ne jamais oublier, toujours se souvenir"